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Lecture : Travail gratuit, la nouvelle exploitation ? de Maud Simonet

Tribune Fonda N°243 - Vers une transition énergétique citoyenne - Septembre 2019
Francis  Letellier
Francis Letellier
Maud Simonet poursuit dans cet ouvrage son analyse sociologique du travail commencé avec l’engagement bénévole . Pourquoi sommes-nous passés en vingt ans d’une interdiction de bénévolat pour les chômeurs à une vision « tremplin vers l’emploi » de ce même bénévolat ?
Lecture : Travail gratuit, la nouvelle exploitation ? de Maud Simonet

Dans Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, Maud Simonet cherche à comprendre les formes diverses et nombreuses qu’a pris le travail (quasi) gratuit avec le développement de la pensée néolibérale. Sa conclusion devrait retenir l’attention des bénévoles et des dirigeants associatifs : «... nous souvenir que le travail gratuit n’est jamais réductible à du travail non payé, qu’il n’est pas une soustraction mais un déni et une appropriation ».


Le travail gratuit : un déni !


Le premier travail gratuit à avoir été analysé est le travail domestique effectué par les femmes. Maud Simonet s’appuie donc sur les analyses développées par les féministes (marxistes et anti-racistes) à partir des années 1960. Gratuit parce que sans « valeur ajoutée », « naturel », « invisible », qui rend « juste » la vie possible, mais aussi parce qu’il sert autant les intérêts du capitalisme que ceux du patriarcat. Pour les anti-racistes, gratuit pour qu’il reste une zone de liberté, de dignité, d’évitement de l’aliénation du travail salarié et de résistance à la domination patriarcale. Déni de valeur donc, mais aussi domination de genre.


Le travail gratuit : une appropriation (RSA, blogging, stages) !


La grille d’analyse étant posée, Maud Simonet s’attache à montrer et démontrer l’extension impressionnante du domaine de la gratuité. Elle reprend pour cela des recherches qu’elle a menées aux USA et en France, mobilise les recherches sur la gratuité sur internet, inventorie les formes de gratuité totale ou partielle (stage, service civique, bénévolat) requises par le marché de l’emploi.

D’où il ressort que le travail gratuit s’inscrit dans un « marché » de la reconnaissance sociale, de la citoyenneté, de la promesse d’emploi, et que ce marché est activement régulé par l’État, avec la coopération des associations. Le travail gratuit devient alors une preuve, La preuve de la « valeur » individuelle, une preuve parfois contrainte, parfois librement consentie, « selon que vous serez puissant ou misérable ».


Deux scénarios pour sortir de cette exploitation


Maud Simonet explore dans le dernier chapitre deux scénarios de « dissolution ». Dissoudre le travail gratuit dans le salariat reviendrait à recourir aux instruments de la conflictualité salariale, tels les mouvements de grève des bénévoles parisiens des Restos du Cœur, au risque d’agrandir les « zones grises » du salariat. Dissoudre le salariat dans le travail gratuit renvoie au principe du revenu universel, en déconnectant travail et revenu, au risque d’accentuer la division entre activités « féminines » (les activités du « care »), et les activités reconnues pour leurs « valeurs » marchandes.


En complément


La construction de l’analyse est serrée, nourrie de références, et conduit progressivement le lecteur « associatif » (salarié ou bénévole) vers un questionnement de fond sur la définition tant économique que sociale du travail. On pourra en compléter la lecture avec le numéro 36 de la revue Socialter « Et si tout devenait gratuit ? », ou en réécoutant l’émission de France Culture qui avait réuni le 24 mai 2017 Charlotte Debray et Maud Simonet.

 



Maud Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, éditions Textuel – Collection Petite encyclopédie critique, 2018.

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