L’article ci-dessous correspond à une intervention de son auteur au colloque « Quelle place pour l’économie sociale dans les programmes d’enseignement ? », organisé par Alternatives économiques en partenariat avec le Crédit coopératif, la fonda, la Macif, la Maif et Scop entreprises, à l’occasion de la sortie du guide L’économie sociale de A à Z, édité par Alternatives économiques, le 26 janvier 2006 à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette.
On peut être adhérent d’une mutuelle, membre de nombreuses associations, mais effectuer l’ensemble de son cursus scolaire sans jamais entendre parler d’économie sociale. En France, du fait du rôle historique du gaullisme, qui a contribué à construire l’économie du pays autour du Plan et de l’état d’un côté et du marché de l’autre, peu de place est resté aux structures de la société civile. Elles sont présentes pourtant, et actives. Peu à peu, ses acteurs se sont réunis, par le biais de leurs grandes fédérations comme en 1970 le Groupement national de la coopération (Gnc) et la Fédération nationale de la mutualité française (Fnmf), rejoints en 1976, par l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) et le Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’éducation nationale (Ccomcen) au sein du Comité national de liaison des activités mutualistes coopératives et associatives (Cnlamca), devenu le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges). En 1977, Henri Desroche a suggéré d’utiliser le terme « économie sociale » pour désigner cet ensemble. Celui-ci avait déjà été utilisé par Frédéric Le Play, Alfred Picard ou Charles Gide, pour décrire les innovations sociales participant au bien-être collectif, permettant l’accélération de la transformation du progrès économique en progrès social. L’état-providence, seul, ne peut le garantir : il est souvent sourd, et il faut le réveiller.
Mais l’économie sociale reste disséminée : entre les différentes formes de coopératives (bancaires, de consommation, de production, etc.), les différentes formes de mutuelles et d’associations… Les raisons de la création d’entreprises d’économie sociale sont également multiples. On peut distinguer quatre modèles. Le modèle professionnel désigne le cas d’un acteur, prolongeant, consolidant ou créant son activité professionnelle et devenant entrepreneur. Exemple : un éducateur qui crée une entreprise d’insertion. Mais nous avons aussi un modèle fondé sur la passion : un acteur intéressé se mobilise pour pratiquer une activité. Autre modèle, celui des œuvres, où un acteur agit pour les autres dans un projet orienté vers la bienfaisance. Dans le modèle militant enfin, des personnes concernées par une question s’organisent en mouvement sur la base de principes de réciprocité.
Cette diversité contribue au poids de cette économie. à la fin du XXe siècle, les associations comptent 1,8 millions de salariés, les coopératives agricoles en emploient 110 000, les Scop 35 000, les banques coopératives 200 000, les mutuelles de santé 58 000 et les mutuelles d’assurance 25 000. Ainsi, le secteur regroupe environ 10 % de l’emploi national et du Pib. Ce chiffre ne donne pourtant qu’une faible idée du rôle de l’économie sociale : comme l’huile dans une voiture est d’un faible poids mais indispensable pour avancer, l’économie sociale est irremplaçable. Une enquête de satisfaction de Que choisir ?, sur la qualité des règlements de sinistres dans les contrats d’assurance, a montré en 2005 que les mutuelles de l’économie sociale arrivaient largement en tête. Que serait l’équilibre de ce marché sans leur présence ?
Par ailleurs, l’économie sociale est une réalité en France, mais aussi à l’étranger et elle se développe comme l’illustre une effervescence législative : coopérative sociale (Italie -1991), société à finalité sociale (Belgique - 1995), coopérative de solidarité sociale (Portugal - 1998)…
Même si l’économie sociale s’occupe depuis longtemps de ce que les autres ne veulent pas faire, elle n’est pas une économie d’assistance, bien que les valeurs qui la portent la poussent à aller vers ces chantiers. Les statuts de ses structures en font à la fois des entreprises socio-économiques et des organisations socio-politiques. L’économie sociale n’est pas seulement une affaire de statuts, mais de pratiques concrètes. Il faut évaluer ses acteurs sur le terrain économique, mais aussi par rapport à leur contribution au progrès social. C’est donc une réalité à interroger, autant qu’un levier pour l’avenir.