Gouvernance Engagement

Collectif informel ou groupe local, autre modalité d’action collective

La Fonda Sud-Ouest
Et La Fonda Rhône-Alpes, Philippe Bégout
Action expérimentale réalisée par la Fonda Rhône-Alpes et la Fonda Sud-Ouest en 2007.

Contexte et enjeux de l’expérimentation

L’émergence de groupes d’habitants et de collectifs d’acteurs associatifs, notamment sur des territoires urbains et ruraux, peu ou mal balisés par les services publics et par les réseaux associatifs, révèle une difficulté des structures associatives comme des institutions publiques à répondre à certaines demandes des citoyens et à prendre en compte des nouvelles formes d’organisation collective.

L’expérimentation a porté sur des groupes de pères de quartiers populaires de l’agglomération lyonnaise et leur intergroupe, accompagnés par Fonda Rhône-Alpes, et sur deux groupes d’associations et d’habitants, l’un en milieu rural et l’autre en milieu urbain, accompagnés par Fonda Sud-Ouest. Ces groupes se caractérisent par la volonté d’œuvrer à un « mieux vivre ensemble », en partant de ce que vivent les gens : leurs expériences d’hommes et de pères d’origine immigrée pour le groupes lyonnais, des projets divers pour le groupe du pays autour de Sainte-Foy-la-Grande, des préoccupations de responsables associatifs de la Rive Droite de l’agglomération bordelaise.

Autant de démarches citoyennes originales et particulières qui visent à construire une parole ou une action collective et à la faire entendre dans toute leur spécificité, sans en appeler aux vecteurs classiques que sont les partis politiques, les syndicats et les associations. L’objectif est de ne pas dissoudre cette parole, indissociable des conditions qui la produisent, de l’identité de ceux qui l’ont formulée et du territoire où ils vivent.

Ainsi, des groupes se construisent des modes de participation originaux, avec des modalités particulières de fonctionnement, « informelles » dans la mesure où elles se situent en deçà d’une organisation associative. La Fonda Rhône-Alpes, la Fonda Sud-Ouest et la Fonda ont fait l’hypothèse que ces groupes peuvent devenir des leviers de mobilisation collective des citoyens, si des formes d’accompagnement adéquates leur sont proposées. Ils perçoivent eux-mêmes la nécessité de s’informer d’expériences similaires, de disposer d’outils pertinents, de se mettre en réseau d’une façon qui reste souple, peu contraignante et donc à inventer.

Un groupe du Pays foyen et des enjeux de territoire

Le « Pays foyen » est un territoire de vie qui, autour de Sainte-Foy-la-Grande, regroupe une cinquantaine de communes : à cheval sur trois départements (Dordogne, Gironde et Lot-et-Garonne), il s’étend sur environ 20 km2. Près de 30 000 habitants y vivent et se partagent entre plaine et coteaux. Pour n’avoir aucune existence administrative, il a une vraie identité historique, culturelle et commerciale qui remonte à la création de la bastide de Sainte-Foy en 1255, dans une position stratégique au regard des communications. Le territoire est fracturé administrativement, politiquement et religieusement, alors qu’il correspond à un bassin de vie assez intégré du point de vue de l’attraction des commerces, des services et du public des associations.

Les responsables associatifs du terrain comme leurs réseaux se rendent compte que le problème de la pertinence des territoires importe peu aux élus qui ont d’autres préoccupations politiciennes. Les habitants ont des pratiques culturelles, sociales et économiques du territoire d’une autre nature et à d’autres échelles que les partages politico-administratifs établis par les élus ou les techniciens.

C’est dans ce contexte que, dès 1999, le délégué bénévole de la Fonda Aquitaine amorce une mise en réseau d’associations et d’habitants du Pays foyen. Un groupe Fonda de 20 à 25 responsables associatifs et citoyens, d’horizons associatifs différents, se constitue et commence à se retrouver régulièrement, hors structure ou réseau d’appartenance, autour de la question de « ce qu’est le Pays foyen » : il part du constat que des associations éclatées n’ont ni poids ni parole sur leur territoire. Le groupe n’est ni finalisé, ni institutionnalisé. Ce n’est pas une nouvelle association et pas davantage une coordination d’associations ; c’est un groupe, une force de proposition et d’action, qui peut à l’occasion s’appuyer sur les associations ou les réseaux d’appartenance de ses membres.

Certes, son organisation repose sur le délégué régional de la Fonda qui réside dans le Pays foyen et qui prend l’initiative d’inviter les membres à se retrouver autour de problèmes propres au territoire. Son intervention est légère et discrète, mais nécessaire : il invite le groupe à se réunir et il contribue à lui apporter de l’information pour améliorer la connaissance des nouvelles lois et pour évaluer ce qu’il est possible de faire au pays. Il y a là une organisation « informelle », au sens où elle ne participe pas d’une forme prédéterminée.

Dès 2005, le maire de Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde, a été sollicité par des associations pour fêter les 750 ans de la bastide de Sainte-Foy-la-Grande. De son côté, le maire de Port-Sainte-Foy, en Dordogne, se porte candidat à l’organisation de la Félibrée, pour 2006. La « Félibrée » est cette grande frairie occitane qui, chaque année, depuis un siècle, tourne sur la Dordogne et rassemble, le temps d’une journée, plusieurs milliers de personnes. Ce n’est qu’une fois sa décision prise que le maire a invité les associations de Port-Sainte-Foy à se réunir pour organiser une manifestation qui ne pouvait se concevoir et se réaliser sans leur engagement et celui de centaines de bénévoles.

Dans ce contexte, le maire de Sainte-Foy-la-Grande, décidait, à son tour, de s’investir dans la Félibrée ; il le faisait, comme son collègue de Port-Sainte-Foy, sans avoir consulté son conseil municipal. Alors que la première réunion des associations et habitants intéressés par le projet de Félibrée a réuni 140 à 150 personnes, les deux villes choisissaient de confier la responsabilité de la Félibrée à une association qu’ils avaient créée de toute pièce. Ce dispositif associatif para-municipal allait s’avérer peu efficace.

Les associations qui n’avaient donc pas été consultées en amont ont légitimement rechigné devant la manière dont avait été décidée et engagée la manifestation. La préparation de la Félibrée prenait du retard. Le groupe local Fonda s’est alors réuni et a fini par décider de participer à l’organisation de la Félibrée, prodigieuse occasion de rencontre culturelle et citoyenne pour le territoire foyen qui lui apparaissait être précisément la bonne échelle territoriale, car des associations extérieures à la communauté de communes souhaitaient s’impliquer. Le groupe a mobilisé son réseau de bénévoles des associations locales et d’habitants, leur démontrant l’utilité d’une coordination même informelle pour peser sur les modalités d’organisation de cette manifestation culturelle et infirmer un management administratif qui montrait d’emblée ses limites. Une quinzaine d’habitants, dont un bon nombre d’entre eux étaient responsables d’associations, allaient se réunir régulièrement, en particulier pour conduire l’important chantier de la décoration florale.

La Félibrée a eu lieu et fut un succès. 800 bénévoles s’y investirent. Elle a déplacé plus de 20 000 personnes. Il faisait très chaud. Les frais engagés ont été couverts par les entrées. Il en est ressorti que l’association créée artificiellement et d’en haut par les maires a peu fonctionné, le pivot de l’organisation étant assuré par 3 à 4 bénévoles et 2 à 3 associations. Les membres du groupe Fonda se sont fortement investis dans cette action, de manière très pragmatique, généralement au titre de leur association et sur leur commune.

Le groupe Rive Droite : un échange sur mesure

Le territoire de référence du groupe local dont il va être question est celui des communes de Bassens, Cenon, Floirac et Lormont qui regroupent près de 65 000 habitants. Situé sur la rive droite de la Garonne, en continuité géographique avec le secteur Bastide-Benauge de la commune de Bordeaux, le territoire occupe une position urbaine stratégique de cœur d’agglomération bordelaise. La vie associative y est très développée cette tradition associative est assez ancienne. On y constate des politiques municipales très attentives à ce foisonnement associatif et qui fournissent soutien financier ou moyens logistiques. Il y a également une prise en compte du rôle des associations qui trouvent leur place dans les différentes instances de concertation. Les associations sont habituées à se rencontrer et à travailler ensemble.

Le groupe Rive Droite s’est constitué à l’initiative d’un administrateur de deux médias associatifs – un journal et une radio – et c’est lui qui en est le « fil conducteur », le « pilote » qui contactera d’autres responsables d’associations locales actives de la Rive Droite. En novembre 2004, à Lormont, en partenariat avec ces associations locales, est organisé par la Fonda Aquitaine un séminaire intitulé Aujourd’hui les associations. Une réunion bilan suit et il s’y décide la création d’un groupe local Fonda Rive Droite. Accompagné par deux membres de la Fonda Sud-Ouest, il fixe ses propres modalités de fonctionnement. En mai 2005, une nouvelle réunion est provoquée pour tester le besoin d’une démarche de réflexion entre ces responsables d’associations et définir des axes de travail : le groupe s’organise et exprime son désir de se retrouver en septembre 2006.

Le groupe d’une quinzaine de personnes s’est réuni à six reprises entre septembre 2005 et mai 2006. Les participants sont tous membres ou dirigeants d’association, bénévoles ou salariés ; cette mixité est une des caractéristiques de ce type de groupe et elle fonde des échanges qui se révèlent vite extrêmement enrichissants. L’accès au groupe est ouvert, sans préalable, à toute personne intéressée par la vie associative : les membres y participent à titre personnel et s’y expriment librement.

Les premières réunions ont permis au groupe de s’organiser. Il y a eu un peu de flottement en raison des changements de lieu et de la difficulté à s’arrêter à un thème : en effet, si le bénévolat était le thème qui apparaissait comme majeur, son approche était différente selon les participants. La mise en place d’une méthodologie n’a pas été simple, tant les personnes présentes étaient préoccupées par des questions liées à leur quotidien associatif. Il a donc été décidé de construire ensemble des outils. Ce travail, commencé ensemble, a permis à chacun d’apporter sa contribution personnelle à un échange perçu par tous comme très constructif.

Les animateurs du groupe, membres de la Fonda Sud-Ouest, ont mis à la disposition du groupe des outils (fiches pratiques, documentation, etc.), mais aussi des informations sur le livret du bénévole, la Vae, la vie associative en général, avec ses instances régionales et ce qu’elles peuvent apporter à des responsables d’associations locales. Il s’agissait d’amorcer une mutualisation des ressources et des connaissances entre les bénévoles du groupe et de développer l’envie de se trouver des points communs pour faire des choses ensemble.

La Fonda Sud-Ouest, un espace de réflexion

Depuis 1996, un groupe Fonda Aquitaine s’était constitué à partir d’un groupe de responsables associatifs bordelais, très impliqués à titre bénévole ou salarié dans des réseaux fédéraux, rejoints d’ailleurs par l’un ou l’autre salarié de la fonction publique. Ils constataient que leurs réseaux de référence ne leur offraient pas suffisamment d’espaces de réflexion en mesure de prendre en compte la diversité des territoires et des approches ; il leur apparaissait que l’économique et le social, l’éducatif et le culturel, l’humanitaire et l’international participent d’un développement local et d’une mobilisation des ressources qu’il s’agit plus que jamais de penser de manière globale, transversale et imbriquée. Le mode de regroupement et de réflexion que proposait la Fonda leur convenait comme espace de réflexion, suffisamment souple et informel, pour s’ouvrir régulièrement à d’autres responsables associatifs, au fil de journées de réflexion et de séminaires, auxquelles s’invitaient d’ailleurs parfois des fédérations et des unions associatives troublées et un peu inquiétées par cette initiative. Le groupe de départ s’est peu renouvelé en quatre ans, mais il a gardé son caractère souple et sans formalisme.

Au cours de l’année 2005, le groupe Fonda Sud-Ouest a décidé de se déclarer en association et donc de formaliser son mode de fonctionnement. En l’occurrence, le projet qui s’imposait était de dépasser le fonctionnement intuitif qui avait jusqu’ici présidé au lancement de deux groupes locaux pour développer d’autres groupes locaux et optimiser ce qu’il a été convenu d’appeler une « fertilisation croisée » entre les groupes locaux. à l’automne 2005, l’association Fonda Sud-Ouest se créait sur cette base.

La nouvelle association Fonda Sud-Ouest a donc décidé de dépasser d’emblée cette dichotomie entre les dynamiques des groupes locaux et ce qui pouvait se réfléchir entre les mêmes responsables ou quelques uns d’entre eux autour des enjeux de la vie associative au plan régional ; la seule façon de réussir ce dépassement était d’imaginer et d’expérimenter un fonctionnement de l’association Fonda régionale souple et peu contraignant. Au fil des mois, il fallait faire apparaître l’apport spécifique du rattachement à un réseau ouvert du type Fonda, apport à la fois participatif, coopératif et clairement identifié. L’essentiel était de laisser aux groupes locaux toute leur autonomie et en même temps de leur permettre de partager des expériences, des ressources et des enjeux avec les autres groupes du Sud-Ouest.

Des groupes lyonnais, paroles d’hommes

Des groupes d’habitants – tout particulièrement des pères maghrébins habitant dans les quartiers populaires – sont apparus sur certains territoires dits « sensibles » de l’agglomération lyonnaise. Ces groupes sont dépositaires d’une parole qui est peu ou pas entendue par les institutions et les associations locales. La visée de ces groupes est de favoriser localement le « vivre ensemble », en traitant de ce que leurs membres connaissent et de ce qui les concerne en premier lieu (par exemple la parentalité ou le développement urbain).

Lors des premières rencontres, en 2002, avec ces groupes de pères qui émergent des quartiers, il s’avérait que ces hommes exprimaient leur besoin non pas d’une association mais d’un espace de rencontre et d’échange, mais aussi et surtout d’une reconnaissance de la société française et de ses institutions. En effet, ils témoignaient d’une image du père dévalorisée dans notre société, comme d’ailleurs aussi dans leur famille, surtout lorsqu’ils subissaient le chômage, le poids du dit « syndrome du père absent » et d’épreuves de la vie, comme celles de l’exil ou de la maladie.

Ces rencontres ont donc permis de constater que, pour les pères, la prise de parole est difficile notamment en raison de sa confiscation pendant plusieurs décennies, confiscation liée à leur statut d’immigrant ouvrier pour la plupart. Beaucoup d’entre eux ont dû courber l’échine devant les pouvoirs rencontrés : celui du patron, celui du bailleur, celui des institutions (scolaires, sociales, etc.). Ils se sont sentis longtemps démunis face à leur destin, faute de maîtriser la langue française et les logiques culturelles dominantes, mais aussi faute d’être suffisamment relayés par les organes prévus dans le monde professionnel, comme les syndicats. Suite à ces premières rencontres et au soutien du collectif Paroles de femmes, la Fonda a donc incité à la constitution d’un collectif intergroupe afin de porter plus fortement la parole exprimée par chacun des groupes.

En 2004, l’élaboration d’une Lettre ouverte Paroles d’hommes, à l’occasion de la Conférence nationale de la famille de juin 2004, marque une étape importante : la lettre est diffusée aux acteurs locaux et envoyée à la ministre de la Famille ; elle alerte sur la  précarité dans les familles, les discriminations à l’école, les difficultés d’accès à l’emploi et au logement, etc. à ce stade, sans éprouver le besoin de se mettre en association, les pères revendiquent d’exister, d’être des « repères », avec une place dans la cité. Ainsi, ils réclament leur prise en compte par l’éducation nationale, un enseignement officiel de l’arabe dans les écoles, un accès plus facile aux stages et aux jobs d’été pour leurs enfants. Les groupes informels et l’intergroupe leur permettent enfin d’exprimer leurs attentes.

La démarche des groupes a été accueillie et en quelque sorte « catalysée » par des équipements associatifs comme les centres sociaux et par la Fonda Rhône-Alpes. En 2005, dans cette même dynamique, une délégation du collectif intergroupes Paroles d’hommes a obtenu une audience/rencontre du sous-préfet, délégué à la politique de la Ville pour le Rhône ; elle a été préparée à partir de la « lettre ouverte » et des préoccupations du collectif.

Ce type de groupe se heurte à d’importantes difficultés. Parmi les explications possibles, il apparaît que la mobilisation des hommes demeure peu importante : la pudeur, la peur de prendre des risques mal mesurés, l’habitude, le manque d’encouragements officiels, la peur d’être déçus constituent autant de freins auxquels il faut se frotter pour les dépasser. Les clivages institutionnels sont également à subvertir pour faire émerger des intérêts transversaux. Aujourd’hui, les syndicats ou les associations communautaires sont réticents ou du moins peu demandeurs d’une implication dans la constitution d’un tel collectif. Pourtant, leur « adhésion » semble à terme indispensable. Par ailleurs, il s’avère que les groupes sont dépendants de l’investissement d’animateurs institu-tionnels et d’actions symboliques ponctuelles. Ces structures ne portent pas encore suffisamment le souci de développer la dynamique des groupes d’hommes.

Enfin, les acteurs rencontrés s’interrogent parfois sur la légitimité de la Fonda. En effet, la Fonda n’est pas une entité identifiée. Elle ne représente aucune institution portant un pouvoir symbolique. à cet égard, il faut rappeler que la force et la faiblesse de la Fonda est de se tenir, depuis vingt-cinq ans, dans cette position inconfortable de laboratoire d’idées, de force de proposition et de lieu de parole. De par sa position de neutralité, la Fonda Rhône-Alpes a fait le lien et contribué à ce que les groupes d’hommes trouvent leur place dans la société civile. Elle s’est située comme tiers extérieur facilitateur, à distance par rapport au terrain. En outre, elle a mis à disposition son réseau associatif et institutionnel afin d’ouvrir le collectif Paroles d’hommes vers d’autres horizons.

Un réseau souple

La mise en place d’une association régionale Fonda Sud-Ouest qui voulait d’emblée articuler des « groupes locaux » relativement autonomes dessine ce que devrait être, à l’avenir, un réseau régional Fonda : son fonctionnement se démarque nettement de celui des unions et fédérations associatives, et ce pour les trois raisons suivantes :

  • Une capacité d’écoute et de rassemblement d’acteurs *

Le « groupe local » offre à des personnes venues d’horizons divers une co-construction de la réflexion ou de l’action et un partage des savoirs et savoir-faire d’un tout autre ordre que les propositions d’assistance, de conseil ou de formation technique que fournissent habituellement les fédérations ou les centres de ressources. Leurs offres sont perçues comme trop formelles ou trop achevées ; elles ne fournissent pas toujours des réflexions et des outils en rapport avec les problématiques et le terrain. Pour réussir la mise en place et le montage d’un groupe local de ce genre, il faut, avant tout, quelqu’un qui a une bonne connaissance du territoire et de personnes-relais en prise sur les réalités locales et en capacité à leur tour d’indiquer d’autres personnes en mesure d’entrer dans la démarche. Il s’avère très important que s’instaure un climat de confiance qui permette à chacun de se sentir accepté et reconnu. Le groupe assure un double rôle de facilitateur et de tiers extérieur qui permet l'expression des potentialités de chacun de ses membres.

  • Une régulation souple et dynamique *

L’organisation des premières réunions au fil desquelles le groupe se constitue est décisive : il se choisit un sujet de réflexion ou une action qui intéresse tout le monde et s’y tient. Lors du lancement du groupe, il peut être utile de disposer d’informations, d’outils de travail ou de supports que les participants s’approprient (ou non) par la suite. Le soutien et l’animation du groupe sont conçus d’emblée comme devant permettre au groupe de réguler lui-même sa bonne marche, ce qui n’exclut pas le recours à un tiers ou à une responsabilité d’animation confiée à l’un des membres, au titre de ses compétences.

  • Une mise en réseau sur mesure *

Au plan régional, il apparaît important d’alimenter et de conforter les groupes locaux, l’organisation d’échanges entre groupes étant vécue comme enrichissante. L’innovation qu’apporte l’association Fonda Sud-Ouest réside bien dans sa volonté d’inventer, à son niveau, des temps de rencontre qui permettent aux groupes – sans les enrégimenter – de bénéficier d’informations qui correspondent vraiment à leurs attentes, de partager des pratiques qui rejoignent leurs centres d’intérêt et de défendre une conception et des valeurs que la vie associative n’arrive pas à faire reconnaître sur certains territoires ou avec des populations qui se trouvent de fait hors du champ politique, quand ce n’est pas de l’espace public.

L’étape du groupe identitaire

L’expérience des groupes Paroles d’hommes en région lyonnaise permet de proposer quelques autres pistes de réflexion et de travail :

  • L’émergence de l’informel *

Qu’il soit accompagné par un chargé de mission ou par des responsables associatifs bénévoles, l’émergence de groupes informels suppose que, dès le départ, on n’occulte pas quelques interrogations : comment faire quand il n’y a pas de demande de la part des personnes ou des groupes ? N’y a-t-il pas alors un risque de « faire à la place » des intéressés ? Qu’est-ce qui légitime, à ce stade, une intervention d’un tiers extérieur ?

  • Le rapport au temps *

Le soutien de tels groupes se heurte à de nombreuses difficultés, dont celle du rapport au temps. Pour le dire autrement, la construction d’un groupe et, à plus forte raison, d’un collectif de groupes s’inscrit dans la durée et implique un soutien souple et flexible qui prenne en compte cette temporalité particulière.

  • L’ouverture du groupe *

Les hommes qui participent aux groupes lyonnais sont majoritairement issus de l’immigration maghrébine. Cela peut s’avérer réducteur et d’ailleurs cela n’a pas toujours été bien perçu par les intéressés eux-mêmes : il est discriminant de cibler des groupes d’hommes issus de l’immigration maghrébine, d’autant qu’ils ne sont pas les seuls à être défaillant dans leur rôle de père. Mais ce risque d’une double discrimination ethnique et sociale n’est-il pas à courir pour ouvrir un avenir, en commençant par permettre à des gens qui se ressemblent de se rassembler, de créer du « commun » et du « collectif » au travers de la rencontre et de l’échange. Ensuite, ces groupes pourront peut-être échanger avec d’autres. Ils prendront alors du recul par rapport aux appartenances et aux problématiques d’origine ethnique et territoriale.

Préconisations « informelles »

L’expérimentation dont on vient de rendre compte ouvre sur un ensemble d’enseignements et de préconisations. La dynamique des « groupes informels » est une dynamique en soi qui, pour s’inscrire dans l’espace public, ne s’articule pas à tout coup à la vie associative. Ainsi, les groupes d’hommes lyonnais pour être accueillis dans des équipements associatifs ne cherchent pas à se constituer en association, fut-ce au niveau de leur intergroupe, tout le moins ce n’est pas leur préoccupation présente. Par contre, l’intérêt des groupes foyen et bordelais est de rassembler des responsables associatifs qui se donnent un espace informel de réflexion et d’action, à charge à la Fonda Sud-Ouest de se concevoir comme un réseau associatif différent et capable d’offrir un espace de rencontre et de partage entre les groupes.

L’action expérimentale a permis d’identifier un certain nombre d’outils et de méthodes qui diffèrent sensiblement – même s’il y a une parenté – de ce qui est habituellement la règle dans les associations et les fédérations qui fournissent habituellement un cadre en grande partie prédéterminé :

  • le groupe informel se constitue, à l’échelle d’un territoire à chaque fois différent, autour d’un événement ou d’une problématique qui émerge du vécu de ses membres ;
  • le groupe informel se construit des modalités de travail et de participation originales et adaptées à la composition du groupe, à sa visée et à l’étape où il en est ; 
  • le groupe informel se dote, éventuellement et autant que de besoin, d’informations, de conseils et ressources externes, de l’appui de tiers extérieurs ;
  • le groupe informel peut choisir de se relier à d’autres groupes similaires dans une forme de rencontre, de collectif, d’intergroupe ou de réseau, elle-même originale.

Au sortir de cette action expérimentale, on pourrait risquer une comparaison : si les associations peuvent présenter des atouts (souplesse de fonctionnement, proximité du terrain, connaissance de la population, etc.) que n’ont pas les institutions, les groupes informels présentent une flexibilité et une opérationnalité indéniables que n’ont pas ou que n’ont plus les associations, engoncées – un peu ou beaucoup – dans un fonctionnement qui tend à se figer et à n’être plus aussi souple et proche du terrain qu’elles veulent bien le dire ou qu’il ne l’était au départ. Une association peut donc aussi être vue comme une institution qui montre d’inévitables rigidités.

Par conséquent, les groupes informels n’ont pas automatiquement besoin de beaucoup se structurer et d’acquérir le statut associatif pour fonctionner. Ce n’est pas parce qu’ils sont « informels » qu’ils ne se donnent pas un minimum de règles de fonctionnement et de décision. Pour avoir également un caractère nécessairement « éphémère » qui fait qu’ils peuvent se dissoudre – une fois que ce qui a provoqué leur création a été traité – ou suspendre leur activité à tout moment, on a vu qu’ils s’inscrivaient dans une certaine durée, par souci d’efficacité.

Les enseignements et les préconisations qui ressortent de l’action expérimentale peuvent être très succinctement résumés au travers de quatre consignes :

  • « le groupe local se constitue autour d’une initiative de départ » : des personnes sont amenées à se regrouper, à l’initiative de l’une ou de l’autre d’entre elles ou à l’occasion d’un événement : cette impulsion initiale peut être composite et même floue ; il n’y a pas à la formuler à la place des intéressés, même si on peut conseiller de la préciser ;
  • « le groupe local se donne un minimum d’organisation » : le groupe a besoin de prendre le temps de se mettre en place, de vivre à son rythme et de s’organiser peu à peu, autour de quelques règles simples ; il n’a pas nécessairement à importer beaucoup d’outils, en dehors de ceux qui lui sont strictement nécessaires ;
  • « le groupe local s’ouvre sur l’extérieur » : le groupe a généralement besoin d’éclairer ses problématiques ou l’action envisagée : il recueille utilement des informations, s’appuie sur des contacts et des ressources externes, voire engage un travail en collectif ou en intergroupe. Cela demande du temps ; il n’y a pas de solution toute faite, là où s’invente une mise en réseau à la stricte mesure des besoins.

**Cette action expérimentale a été réalisée en 2005-2006
avec le concours de :

  • Fonda Rhône Alpes : Gilbert Delapierre, David Grand et Benoît Eyraud ;
  • Fonda Sud-Ouest : Maïté Marquié et Chantal Le Gall ;
  • Fonda : Gabriel d’Elloy et Jean-Pierre Worms.**
Analyses et recherches
Expérimentation