Projets en coopération

Projet en coopération - Pôle mobilité du Havre, la coopération au service de la mobilité inclusive

Pôle mobilité du bassin d'emploi du Havre
Et Hannah Olivetti
La mobilité inclusive constitue un enjeu clé, tout particulièrement pour les personnes en situation de précarité. Un jeune sur trois sans diplôme a, par exemple, refusé un emploi à cause du transport. L'accès à des solutions de mobilité (voiture, vélo, transports en commun, etc.) peu onéreuses, de proximité, et flexibles est, plus globalement, essentiel pour être autonome et mener les déplacements de la vie quotidienne.
Projet en coopération - Pôle mobilité du Havre, la coopération au service de la mobilité inclusive

Dans le cadre du programme Faire Ensemble 2030, la Fonda souhaite valoriser les coopérations pluri-acteurs. Cette fiche s’intéresse à la dynamique coopérative à l’œuvre au Havre pour favoriser la mobilité inclusive pour ne laisser personne de côté.  

Cet article a été rédigé par Hannah Olivetti, suite à un entretien du 3 juin 2021, avec Jean-François Samson, entrepreneur social. 

La mobilité comme frein à l’insertion socio-professionnelle 

C'est en 2007 que Jean-François Samson, entrepreneur social, crée l’entreprise d’insertion Otherworld Développement Durable, appelée aussi “ODD”. Il apporte une réponse originale, à la fois sociale et environnementale, au nettoyage et à la préparation des automobiles pour les professionnels, tels que des concessionnaires automobiles ou bien encore des plateformes logistiques, ainsi que pour les particuliers. Les opérations sont réalisées sans eau, avec des produits biodégradables, et par des salariés en parcours d’insertion. Rapidement, Jean-François Samson s’aperçoit qu’en plus des freins rencontrés habituellement à leur (ré)insertion socio-professionnelle (logement, santé, surendettement, etc.), il y en a un autre, crucial, souvent oublié : la mobilité.  

La mobilité inclusive (qui revient à comprendre et analyser les obstacles à la mobilité, puis de construire des solutions concrètes et durables au service d’une mobilité accessible à tous) constitue un enjeu clé, tout particulièrement pour les personnes en situation de précarité. Un jeune sur trois sans diplôme a, par exemple, refusé un emploi à cause du transport (cf. Rapport d’activité 2019, Laboratoire de la mobilité inclusive). L'accès à des solutions de mobilité (voiture, vélo, transports en commun, etc.) peu onéreuses, de proximité, et flexibles est, plus globalement, essentiel pour être autonome et mener les déplacements de la vie quotidienne. Le permis de conduire demeure encore souvent le sésame pour trouver un emploi, ajoute Jean-François Samson, ainsi que l’accès à un véhicule. Or, l’obtention du permis de conduire, et au préalable du code de la route, peut rapidement relever du parcours du combattant quand l’on ne maîtrise pas très bien le français. Ainsi, l’entreprise ODD a décidé de développer ses propres outils en interne pour apporter des solutions à ses salariés (cours de code, prêt de véhicule pour le ramassage) et pour les habitants avec la création d’un garage solidaire.  

Pôle mobilité du Havre

Une coopération locale pour la mobilité pour tous et toutes  

Face à l’ampleur et l’importance de l’enjeu de la mobilité, de nombreux acteurs locaux s’emparent de ce sujet pour apporter des réponses inclusives sur le territoire du Havre. Souvent des solutions existent déjà sur les territoires, auto-écoles associative (RSA), location de scooters (Jeunes), transport à la demande (Handicap), etc... Toutefois, ces actions étaient dispersées et non-coordonnées ce qui en freinait l’accès pour les premiers concernés, à savoir les personnes ayant des problèmes liés à la mobilité. Pour y faire face, Jean-François Samson a pris son bâton de pèlerin pour convaincre les structures de casser les silos et de coopérer. Après plusieurs mois de dialogues, de rendez-vous et de rencontres avec les services publics de l’emploi, les associations locales, les entreprises, le Pôle mobilité du bassin d’emploi du Havre est né en 2015. Il se structure en Pôle territorial de coopération économique (PTCE), sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).  

                              

Une diversité d’acteurs coopère pour la mobilité inclusive au Havre

La SCIC est composée d’acteurs publics, d’associations, d’entreprises et des bénéficiaires :

  • Pour les associations. Deux typologies d’association prennent part à cette coopération : le tissu associatif généraliste qui souhaite répondre aux besoins de ses bénéficiaires en matière de mobilité (exemple des associations de solidarité), et les associations spécialisées sur les sujets de mobilité qui apportent leur savoir-faire (centres de formation, auto-écoles associatives, etc.).
  • Pour les entreprises. Une variété d’entreprises s’engage dans cette SCIC : les entreprises dotée d’une stratégie RSE, les entreprises sociales (entreprise à insertion), et les entreprises du monde des transports et de la mobilité.
  • Pour les acteurs publics. Parmi eux, il y a Pôle emploi, les services de l’action sociale (centre communal d’action sociale, les services départementaux pour le revenu de solidarité active), ainsi que les services dédiés à l’économie sociale et solidaire et au développement durable.
  • Le collège des salariés et des bénéficiaires. La gouvernance est participative afin de prendre en compte les enjeux de chaque acteur.

Ce pôle mobilité propose une diversité d’actions complémentaires les unes aux autres pour la mobilité inclusive :

  • Le bilan mobilité réalisé par le conseiller social, spécialisé en mobilité. Il s’agit d’analyser à 360 degrés la mobilité de la personne pour comprendre les freins auxquels elle fait face (ne pas savoir lire constitue un frein pour le passage du code de la route par exemple).
  • L'accompagnement mobilité pour aller vers l’autonomie. Ici, les personnes reçoivent les enseignements nécessaires pour le passage du code de la route et du permis de conduire. Mais les choses ne s’arrêtent pas là : il y a tout le volet lié à la compréhension du système de transports. Cela implique d’apprendre à renseigner des formulaires pour accéder aux tarifs sociaux, à lire une carte des transports, à déconstruire des préjugés sur la mobilité, à préparer les dossiers de microcrédit pour l’achat d’un véhicule en lien avec le garage solidaire, etc.
  • Le garage solidaire a une double vocation.
    • L'entreprise d’insertion ODD s’en sert en journée, outils d’accès à l’emploi et de formation par le travail mais aussi une tarification adaptée en fonction des revenus des bénéficiaires
    • L’association “les mécanos solidaires” en soirée et le weekend sous forme de « Self Garage ». C'est le lieu pour apprendre à faire soi-même la vidange de sa voiture dans un contexte marqué par la convivialité et le partage.
    • Le garage Solidaire propose aussi des locations de scooters et de voitures à tarif solidaire (à partir de 3€ par jour) et des ventes de voitures entièrement révisées à très petits prix
  • Le transport à la demande avec notamment des navettes organisées pour les intérimaires du territoire. Ce service est financé par le fonds d’action sociale du travail temporaire (FASTT). Chaque année, la plateforme mobilité accueille plus de 600 personnes.
                          

L'entreprise d'insertion comme déclencheur de synergies

De par ses missions, l'entreprise d’insertion (EI) est en contact régulièrement avec les acteurs locaux :  

  • Pôle Emploi qui agréé l’embauche des salariés en insertion 
  • Les associations locales qui peuvent mener des actions complémentaires et nécessaires dans l’accompagnement socio-professionnel des salariés en insertion (cours de français langue étrangère (FLE) par exemple) 
  • Les entreprises locales en tant que clients de l’EI, ainsi qu’employeurs potentiels des salariés en insertion à l’issue du parcours 

L’entreprise d’insertion est une structure bien implantée dans son écosystème, souligne Jean-François Samson, et a donc tous les leviers pour impulser une dynamique coopérative sur son territoire. Dans le cas du Pôle mobilité du bassin d’emploi du Havre, l’entreprise ODD entretenait depuis de nombreuses années des relations de confiance avec ses partenaires. Cela a facilité les échanges entre les différentes parties prenantes de la mobilité, de l’insertion, de la formation et a abouti à la constitution de la SCIC.  

Les activités économiques menées par les entreprises d’insertion donnent des marges de manœuvre financières qui permettent de financer en partie la constitution de la SCIC. C'est un gage de confiance dans la solidité du projet pour les autres partenaires.  

Une coopération fragilisée au Havre 

Créer un pôle mobilité de cette envergure, dépassant les limites administratives (Grand Havre, pays de Caux, Fécamp), avec une telle diversité d’acteurs, et une variété d’actions, est une opération complexe. Il est indispensable d’avoir, pour la création de la SCIC, une ingénierie, voire un accompagnement pour le montage administratif, juridique et fiscal.  

L’innovation sociale souffre d’un manque d’accompagnement et/ou de financement, insiste Jean-François Samson. Les administrations (collectivités territoriales et Etat) peuvent être bien en peine pour faire entrer ces structures hybrides dans leurs lignes budgétaires.  

Le Département de Seine-Maritime avait proposé un financement FSE au Pôle mobilité. Le montage du dossier n’a cependant pas pu bénéficier d’un accompagnement et d’une ingénierie adaptée. L et le contrôle du FSE a conduit à la remise en cause de l’éligibilité d’une SCIC, dans la mesure où celle-ci sous-traite – par définition - une partie de ses actions à ses membres. L’aide reçue en 2020, d’un montant de 300k€, a dû ainsi être intégralement remboursée, ce qui a conduit à la cessation d’activité de la SCIC.  

Jean François Samson intervient aujourd’hui au sein du réseau des acteurs de la mobilité inclusive Mob’In et auprès du Labo de L’ESS pour que les autres plateformes de mobilité et PTCE en cours de création en France, bénéficient du retour d’expérience  des déconvenues rencontrées par le pôle mobilité du bassin d’emploi du Havre en France et soient vigilantes sur l’ingénierie et l’accompagnement, notamment juridique et fiscal 

Malgré l’arrêt de la SCIC, la coopération entre les acteurs perdure de façon plus informelle. Un besoin de coordination se fait sentir, souligne Jean-François Samson, qui aimerait que cette fonction soit financée.  

La mobilité inclusive passe à la vitesse supérieure 

L’apparition en 2013 d’un think tank et do tank dédié à la mobilité inclusive témoigne de l’essor de cette thématique transversale : le Laboratoire de la mobilité inclusive (LMI). Cet espace de recherche produit des études, des ressources et des interviews pour outiller les acteurs et influer les pouvoirs publics, via le plaidoyer. 

Au niveau régional et national, les acteurs de la mobilité inclusive se structurent, se fédèrent et mutualisent les compétences, les expériences et les outils, notamment grâce au réseau Mob’In créé en 2017.  

Même les pouvoirs publics prennent la pleine mesure des enjeux posés par la mobilité inclusive, insiste Jean-François Samson. Il en veut pour preuve l’apparition d’une nouvelle formation universitaire : le conseiller social, spécialisé en mobilité (bac +2). La loi d’orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 en est un autre exemple. Elle prévoit des mesures spécifiques pour la mobilité inclusive, dont notamment l’élaboration au niveau local de plans d’action communs en faveur de la mobilité inclusive.

Dans ce contexte, les structures de la mobilité inclusive ont une carte à jouer en valorisant leur expertise et leur savoir-faire de longue date. Pour Jean-François Samson, les structures d’insertion, les auto-écoles associatives, les centres de formation, ainsi que les structures du handicap, ont intérêt à continuer à créer des coopérations transversales, à unir leurs forces, et à s’affirmer comme des acteurs indispensables de la mobilité inclusive sur les territoires.  

Les structures de l’économie sociale et sociale constituent des leviers phares pour l’insertion socio-professionnelle, la réduction des inégalités, et le développement local ! 

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