La phase de germination préfiguratrice avec Solid’Agri
Lorsqu’elle était animatrice d’un syndicat agricole dans le Vaucluse, Solene Espitalié a fait le double constat d’un taux de chômage élevé sur son territoire et du manque de main d’œuvre pour pourvoir aux travaux agricoles. Elle découvre alors une association inspirante, la Main Verte, en Alsace, qui embauche des personnes en situation de handicap sur des travaux agricoles. Solene Espitalié propose donc aux acteurs de son territoire d’essaimer le concept et de créer une association similaire. Apparue en 2008, Solid’Agri recrute des personnes en situation de handicap pour effectuer des missions saisonnières dans des exploitations locales.
Les premières années d’existence furent parsemées d’embuches entre l’impératif de trouver les premiers clients, de recruter et de former les salariés en situation de handicap qui n’avaient jamais travaillé en milieu ordinaire, ainsi que de créer un climat de confiance avec les différents partenaires, dont les agriculteurs et les structures du médico-social.
La nécessité de développer des activités complémentaires s’est rapidement imposée en 2014 pour consolider le modèle socio-économique. L’équipe de Solid’Agri a donc innové en produisant elle-même du safran, des cerises biologiques ou bien en créant un jardin thérapeutique intergénérationnel dans une maison de retraite. En parallèle, elle a mené une étude de faisabilité sur la valorisation des déchets des exploitations agricoles (comme les produits phytosanitaires, le métal, etc.), qui n'a cependant pas débouché sur une activité. Toutefois, lors des visites des exploitations agricoles, Solene Espitalié remarque l’existence de déchets alimentaires non valorisés.
Un reportage d'Hervé Falise / Moderne Multimédias pour Solidarum.org dans le cadre du Prix de la Fondation Cognacq-Jay 2019 / CC BY-NY-SA 3.0
L’éclosion des jardins de Solene pour répondre à un enjeu local
Des fruits et des légumes cabossés, fendus ou tachetés sont quotidiennement jetés car ils ne correspondent pas aux standards des magasins et sont considérés comme “moches”. Les agriculteurs se débarrassent en moyenne de 25% de leur production. Face à cette découverte, Solene Espitalié imagine l’opportunité d’acheter en gros ces produits pour les transformer et les vendre en grandes quantités.
Une étude de faisabilité sur l’opportunité de créer une légumerie est réalisée en 2015 et 2016. Elle aboutit à la création les Jardins de Solene en 2017. La création de cette entreprise permet de mutualiser les charges et les compétences avec l’association Solid’Agri. Elle conduit à la « fusion » des deux structures, finalisée en 2021, afin d’optimiser le modèle socio-économique en diminuant les frais de structures. L’association n’existe plus depuis 2001 suite au transfert des activités et des emplois, ainsi que du rachat de l’actif et du passif par l’entreprise les Jardins de Solene. Pour ce faire, une levée de 145 000€ s’est concrétisée à la fin du 1e trimestre 2021.
Les Jardins de Solene propose toute une palette d’activités au service des acteurs locaux, dont des prestations agricoles dans les exploitations voisines. L’objectif est de réaliser des travaux manuels en fonction des besoins exprimés, comme par exemple planter des fraises, participer à des vendanges, etc. La valorisation des produits déclassés constitue la deuxième action clé de l’entreprise. Les salariés collectent les fruits et les légumes déclassés auprès des producteurs locaux, les lavent, les épluchent, les découpent et les mettent sous-vide. Ces produits, frais, locaux et de saison, sont ainsi directement prêts à être cuisinés. Depuis le 1er janvier 2021, 70 tonnes de produits bruts ont été achetés et revalorisés.
L'utilisation des marchés publics pour développer les activités économiques locales
Des collectivités territoriales se saisissent des marchés publics pour favoriser le développement des activités économiques locales sur leur territoire. Elles peuvent en effet en leur sein déterminer des critères sociaux et environnementaux. C'est le choix fait par la Ville d’Avignon dans le cadre de la remunicipalisation de la cuisine municipale avec le marché public pour les carottes, remporté par les jardins de Solene.
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La participation de l’écosystème au bon fonctionnement de l’entreprise
Crée en 2017, les jardins de Solene emploient actuellement dix collaborateurs. Ceux en situation de handicap s’approprient progressivement les codes du travail en milieu ordinaire, notamment sur leur posture. Solene Espitalié observe d’ailleurs une hausse de la confiance en soi des salariés, alors qu’initialement ils pensaient ne pas pouvoir réaliser de telles missions. Les collaborateurs améliorent leurs compétences dans le domaine agricole qui sont valorisées via un système de promotion interne. Deux ont par exemple été nommés chefs d’équipe et un autre responsable du matériel de sécurité. Tout ceci est facilité grâce aux partenariats avec les acteurs du médico-sociales. Ils sont essentiels pour la réalisation de stages et sur l’accompagnement extra-professionnel quant aux problématiques sociales (mobilité, logement, suivi d’accompagnement à la vie sociale).
La gouvernance participative est un des éléments constitutifs de l’entreprise. Elle se traduit par différentes actions et au travers des instances salariales et de cette commission d’évaluation sociale. Elle permet l’implication et les dialogues de gestion avec les parties prenantes des jardins de Solene. Aujourd’hui, la gouvernance a été intégrée aux statuts de l’entreprise. Elle est constituée de personnes ressources au projet, directement ou non impliquées, comme par exemple un membre de la ville d’Avignon qui est un de des clients de l’entreprise ou bien encore un travailleur social accompagnant des personnes handicapées.
Les collaborateurs jouent un rôle actif dans le fonctionnement de l’entreprise. Ils sont impliqués dans toutes les décisions opérationnelles de l’entreprise ainsi que pour les ressources humaines. Ainsi, les recrutements de nouveaux collaborateurs sont validés collectivement. Le dialogue et les échanges sont quotidiens. D’ailleurs, une fois par mois, une réunion salariale avec toute l’équipe est organisée. Un procès-verbal est rédigé pour enregistrer les décisions prises collectivement.
Des conseils pour coopérer dans la durée
La coopération devient indispensable pour relever les enjeux actuels, explique d’emblée Solene Espitalié. La coopération doit faire partie de l’ADN de chaque projet car elle permet de l’enrichir et de le consolider.
Pour coopérer, le partage entre les différentes parties prenantes des contraintes et des attentes de chacun constitue un facteur clé de réussite. Ce travail permet de créer une compréhension partagée des enjeux sur le sujet et facilite la coopération dans le temps.
Mais ce n’est pas tout, il est nécessaire que chaque acteur apprenne à se faire confiance, sans quoi la coopération ne pourra être fluide. Solene Espitalié l’a observé avec les Jardins de Solene. Les différents acteurs, dont notamment les agriculteurs et les structures du médico-social, avaient des préjugés sur la faisabilité et l’opportunité d’un tel projet. Il a fallu, en quelque sorte, montrer « patte blanche » et les convaincre selon des modalités différentes. Pour les agriculteurs, c’est « la preuve par l’exemple » qui reste le plus efficace, par exemple, en venant voir les équipes travailler sur le terrain. Quant aux acteurs du médico-social, l’organisation régulière de réunions d’informations collectives constitue l’opportunité pour présenter les chiffres d’impacts extra-financier qui illustrent les impacts pour les collaborateurs. Par exemple, sur les onze salariés à temps plein en contrat à durée indéterminée (CDI), huit sont en situation de handicap et dont certains sont présents depuis plus dix ans. Un baromètre social est également réalisé régulièrement pour connaître le bien-être au travail des salariés. Les questions portent sur les rapports avec les responsables, la montée en compétences ou bien encore le climat social.
Pour mobiliser les acteurs, Solene Espitalié recommande de porter une attention toute particulière à la posture. Il convient d’être à l’écoute des futurs partenaires pour bien comprendre leurs enjeux, leurs attentes et leurs contraintes. Ces éléments permettent de bien comprendre l’intérêt pour chacun de prendre part à un projet en coopération, et de l’intérêt commun à faire ensemble.
Les jardins de Solene est un exemple de coopération territoriale au service d’un projet économique, social et environnemental. C'est le fruit d’un dialogue régulier entre les différentes parties prenantes autour d’une initiative transformatrice et ambitieuse !