Engagement

Ressource #18 - La Cravate » de Mathias Théry et Etienne Chaillou [Engagement]

La Fonda
Et Anna Maheu
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Dans cette 18ème fiche de lecture, Anna Maheu présente le film "La Cravate" de Mathias Théry et Etienne Chaillou.
Ressource #18 - La Cravate » de Mathias Théry et Etienne Chaillou [Engagement]
Club de lecture #10 © Guillemette Martin/ La Fonda

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Présentation du film documentaire « La Cravate » de Mathias Théry et Etienne Chaillou. 

Présenté par Anna Maheu, Responsable de la communication à la Fonda.

Mots clés : #Radicalisation #Extrême-droite.

Brève présentation des réalisateurs 

Mathias Théry, Etienne Chaillou sont des documentaristes chevronnés, La Cravate est le neuvième film qu’ils coréalisent. Les précédents traitaient du mariage pour tous (La Sociologue et l’ourson), de l’Europe (L’oeil du voisin), de solidarité internationale (Boys in India) et du rôle présidentiel (J’ai rêvé du président). Certains sont des séries de moyens-métrages documentaires réalisés pour des chaines télés, dont Arte. C’est d’ailleurs ainsi que Mathias Théry rencontre Bastien Régnier : qu’il réalisait alors Premier Vote : Considérant la jeunesse pour France 3. 

Brève présentation du film documentaire La Cravate 

La Cravate est un film documentaire d’1 heure 37, sorti en juin 2020, réalisé par Mathias Théry et Etienne Chaillou. Il s’agit de suivre le parcours de Bastien Régnier, vingt ans et qui milite depuis cinq ans dans le principal parti d’extrême-droite. Quand débute la campagne présidentielle de 2017, il est invité par son supérieur à s’engager davantage. L’équipe des réalisateurs va alors le suivre pendant un an : du tractage sur les marchés aux repas des dirigeants du FN. Bastien est défini comme ayant « quelques responsabilités » : il tient la permanence, distribue des tracts. Au cours du documentaire, on va le voir monter en responsabilité : jusqu’à participer au lancement de la chaîne Youtube de Florian Philippot, avant d’être remplacé par une équipe de communicants. Bastien Régnier est toujours investi en politique, il a été candidat à l’investiture sur la deuxième circonscription de l’Oise pour les Patriotes dont il était en 2021 le responsable départemental dans l’Oise. 

Depuis qu’il a pris ses distances avec le FN, il considère devoir plutôt combattre « un système mis en place et entretenu depuis des années par des élites qui dévoient la démocratie. 

Pourquoi cette ressource est intéressante ? 

C’est l’objectif même du documentaire : comprendre pourquoi un jeune vingtenaire s’engage dans le Front National, quelles sont les racines d’un tel engagement. Il s’agit du regard de deux réalisateurs « de gauche » sur la vie d’un militant à l’extrême droite, qui essaye en permanence de ne tomber ni dans le mépris ni dans la fascination. Ce rapport est vraiment marquant dans l’utilisation de la voix off, qui permet aux réalisateurs d’expliciter leur point de vue, de proposer un contre-point. Le film présente très peu de dialogues, et cette voix off nous donne donc l’impression d’être dans la tête de Bastien, à la manière d’un narrateur omniscient de roman. 

La forme « hybride » du film est ici au service du fond. S’appuyant sur la vie, et donc les opinions politiques de Bastien Régnier, il est le seul qu’on voit à l’écran. Écrit et narré par eux, à l’opposé de l’échiquier politique, l’ensemble du scénario a néanmoins été relu et annoté par Bastien. On entend donc son histoire narrée par un narrateur omniscient, qui sait tout et notamment de son passé, mais qui lui est propre. Il n’est pas « étudié », sans avoir la possibilité de s’exprimer, il a au contraire la possibilité de « redorer son image », ce qu’il ne se prive pas de faire. Les réalisateurs parlent d’ailleurs d’un « attachement étrange, qui mêle la tendresse et le dégout, la ruse et la langue de bois, le mensonge et la sincérité.» 

Cet aller-retour crée un point de vue mixte, qui peut parfois mettre mal à l’aise. Je pense notamment à une scène lors d’un meeting de Marine Le Pen où Bastien est filmé en contre-plongée, victorieux, chantant « On est chez nous ». Plusieurs fois dans le film, on se surprend à souhaiter la montée des échelons politiques de Bastien : il représente une figure valorisée, le militant « venu d’en bas », qui saurait faire de la politique différemment.

Cela fait oublier le coeur anti-progressiste de ses engagements. C’est aussi un beau film sur la dédiabolisation qui s’infiltre jusqu’aux militants de FN. Bastien est identifié comme un soutien de Florian Philippot qu’il suivra ensuite chez les Patriotes à la fin de la campagne présidentielle. 

Enseignements clés de la ressource 

L’engagement comme canalisation d’une violence. 

Il est révélé au cours du film qu’à 13 ans, Bastien Régnier avait tenté une tuerie de masse au sein de son collège de Saint-Esprit en 2009. Il était alors membre d’un groupe de skinheads, où il trouvait la reconnaissance qu’il a ensuite recherché au sein du FN. La révélation de son passé va d’ailleurs stopper se relative ascension au sein du FN, qui cherche depuis de nombreuses années à ne pas mettre en avant ses liens avec des groupes violents. Au fil du documentaire, on comprend que le FN apporte une forme de reconnaissance à Bastien, qu’être militant frontiste lui est préférable qu’être cet ancien enfant violent. Il a notamment déclaré en interview que « chez les skinheads, puis au FN, des gens qui l’ont rassuré, construit, mais aussi manipulé et tiré vers les extrêmes. » Il n’hésite pas d’ailleurs à comparer son parcours personnel à celui des jeunes embarqués pour le djihad. 

L’effet de groupe de l’engagement. 

Le regard des réalisateurs, et le visionnage du film, lui permettent de se voir « hors du groupe ». Dans un entretien pour Télérama en 2021, à la question « Quelle a été votre réaction quand vous l’avez vu ? », il répond : « Je me suis retrouvé face à quelqu’un dans lequel je ne me reconnaissais pas. Comment avais-je pu raconter des blagues racistes, taper sur des gens, adhérer corps et âme au programme du FN, mentir consciemment pour des raisons politiques ? » Le film montre tout l’aspect « convivial » de l’engagement au sein d’un parti pour quelqu’uncomme Bastien qui semble par ailleurs très isolé. 

Les sources multiples de l’engagement.

Bastien Régnier ne cache pas son premier moteur en rejoignant le FN : c’est « combattre l’immigration et les musulmans. » Néanmoins au cours des entretiens qui ponctuent le film, on comprend que la source de son engagement politique est bien plus diffuse : il veut combattre l’école, les élus, le « système ». 

Depuis qu’il a pris ses distances avec le FN, il considère devoir plutôt combattre « un système mis en place et entretenu depuis des années par des élites qui dévoient la démocratie. » Il a par ailleurs fondé en 2022 une association, La Dernière Écoute, et qui propose de recueillir sur la plateforme Discord les témoignages d’élèves victimes de harcèlement de la part de leurs professeurs. Selon Bastien Régnier c’est cette expérience qui a été fondatrice pour son engagement au sein des skinheads puis au FN.

Ressources pour aller plus loin 

  • Les Filles d'Olfa un film réalisé par Kaouther Ben Hania 
  • « Lucio Urtubia, maçon honnête, anarchiste sincère, et faussaire d’exception », Affaires sensibles sur France Inter 
  • « J'ai cru à l'idéologie « incel » », Après la pluie sur Binge Audio 
  • La Cage: une Française dans le djihad d’Edith Bouvier et Céline Martelet sur Arte Radio7

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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti et Anna Maheu, relu par Hasna Hussein et Yannick Blanc et mis en page par Guillemette Martin pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

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